Revue de presse philosophique semaine du 31/07/2023

Approche philosophique des évènements politiques et sociétaux français.

Semaine du 31 juillet au 6 août 2023

·

    Coup d'État

    Cette semaine nous allons traiter du coup d’Etat au Niger et de la relation que ce pays entretient avec la France. Nous essaierons de décrire au mieux la situation actuelle de ce pays et comprendre les enjeux du coup d’état. Nous aborderons ensuite le sujet de l’intervention militaire.

    Mercredi 26 juillet, la garde présidentielle nigérienne et son chef Abdourahmane Tchiani, membres du nouveau Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), ont destitué le président nigérien Mohamed Bazoum, élu en avril 2021. Ce dernier est depuis séquestré par sa garde rapprochée dans sa résidence privée au palais présidentiel. Les putschistes disent avoir décidé de mettre fin à un régime responsable de la « dégradation continue de la situation sécuritaire » et de « la mauvaise gouvernance économique et sociale ». Pourtant, certains journalistes sur place pensent que la situation au Niger n’est pas plus détériorée sous Bazoum que sous l’ancien président, Mahamadou Issoufou. Abdourahmane Tchiani, principal responsable du putsch, est devenu général sous la présidence d’Issoufou. Certains accuse ce dernier de vouloir reprendre le pouvoir grâce à l’aide du général. Pourtant, Mahamadou Issoufou semblait avoir respecté les termes républicains des deux mandats en ne se représentant pas à une troisième élection présidentielle en 2021. Ce putsch peut aussi être perçu comme une logique historique des coups d’états militaires du Burkina Faso et du Mali ou comme une volonté de rejoindre la Russie qui, elle, se réjouit de voir tomber les dirigeants alliés à la France. Les incertitudes autour de l’origine de ce putsch proviennent du manque d’explication rationnelle.

    En attendant de connaître les véritables raisons de ce putsch, la Cedeao (communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) condamne fermement cette atteinte aux institutions nigériennes et a menacé de faire intervenir l’armée si les troupes des putschistes ne se retiraient pas le dimanche 6 août dernier. Cependant, les putschistes n’ont pas cédé et jouent sur la désapprobation de la violence par certains pays membres de la Cedeao. L’Algérie par exemple, qui partage certaines de ses frontières avec le Niger, ne souhaite pas entrer en conflit avec son voisin. Du côté de l’Europe, le gouvernement français encourage des négociations non-violentes et diplomatiques. La Cedeao s’est rassemblée ce jeudi pour essayer de trouver une solution pacifique.

     

    La France au Niger.

    À Niamey, capitale du Niger, des manifestants pro-putschistes ont vandalisé l’ambassade française dimanche 30 juillet. Certains tenaient des pancartes où l’on peut voir « A bas la France ». La France compte encore 1500 militaires au Niger sur place sur ordre du président, dans un but de lutte contre le terrorisme. Quelques années plus tôt en 2014, l’opération de lutte contre le terrorisme au Sahel et au Sahara, nommée opération Barkhane, était lancée par le ministre des armées Jean-Yves le Drian. Cette opération arrive peu après l’opération Serval, intervention militaire française au Mali sous la présidence de François Hollande pour repousser des groupes salafistes et séparatistes du nord du Mali.  Après l’opération Serval, la France décide de poursuivre, via l’opération Barkhane, la lutte contre les groupes terroristes et notamment ceux affiliés à al quaïda dans les pays suivants : Burkina Faso, Mauritanie, Mali, Niger et Tchad. Seulement, même au plus fort de leur effectif (5100 soldats), l’armée française n’est pas arrivée à réduire l’insécurité qui s’est installée dans ces pays ni à renforcer suffisamment les armées locales pour se défendre contre les potentielles insurrections. Les coups d’état s’enchaînent au Tchad (avril 2021), Mali (mai 2021) et au Burkina Faso (janvier 2022). Les instabilités politiques pousseront Emmanuel Macron à faire retirer les troupes françaises au Mali en juin 2021. L’opération Barkhane se terminera en novembre 2022 après une montée croissante de l’animosité envers la France et du soutien à la Russie dont les troupes sont de plus en plus présente sur le territoire africain.

    Si la France est aussi présente au Sahel, c’est parce qu’elle a des intérêts à défendre. Malgré l’extrême pauvreté qui règne au Niger, ce pays est un des plus gros fournisseurs d’uranium pour les centrales nucléaires françaises. François Hollande avait d’ailleurs discuté avec l’ancien président nigérien Mahamadou Issoufou lors de l’intervention au Mali pour faire savoir qu’il défendrait ces mines d’uranium. Selon les dernières données d’Euratom (communauté européenne de l’énergie atomique), le Niger était le premier fournisseur de la France en uranium en 2021 (24,3%) juste devant le Kazakhstan. En 2020, le Niger fournissait plus de 30% de l’uranium français.

     

    Une rébellion compréhensible ?

    La rébellion contre la France est un moyen efficace pour les putschistes pour affirmer la légitimité de leur action. Le président actuellement séquestré est un allié de la France. Cependant, il existe de réelles raisons pour les Nigériens d’avoir de la rancœur envers la nation française. L’image d’un pays riche venant profiter des ressources d’un pays extrêmement pauvre, sans contribuer à son développement, fait tache. Surtout lorsque l’on ajoute le désastre écologique causé par ces anciennes mines. Ces dernières années, la France a fermé ses mines d’uranium dont la mine Cominak située à Arlit, appartenant à la filiale d’orano, ex-Areva. Après plus de quarante années d’exploitation de ces mines, l’entreprise française laissent derrière elles plus de 20 millions de tonnes de boues radioactives (résidus d’extraction de l’uranium). Les résultats du laboratoire de la CRIIRAD (commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité) ont révélé une forte radioactivité de cette boue, que l’on peut donc qualifier de déchet radioactif. Ces déchets émettent des gaz radioactifs (radon) disséminés par le vent du désert. Des métaux lourds radioactifs, dont certains sont très radiotoxiques par inhalation, circulent dans les airs à partir de ces décharges à ciel ouvert. Ces déchets, dont la radioactivité est effective sur des centaines de milliers d’années, auraient dû être stockés sur un site permettant leur confinement à long terme. Voilà donc une première raison pour les Nigériens de mépriser la présence française sur leur sol.

    Une autre raison de la colère envers la France est expliquée par l’historienne Camille Lefebvre, interviewé par Médiapart. Selon elle, le fossé entre d’un côté l’intérêt du Niger pour la France et de l’autre le désintérêt de la France pour le Niger, pays qu’elle a colonisé pendant soixante ans (1900-1960), peut attiser la colère. « Jusque dans les années 2000, les programmes scolaires nigériens étaient calqués sur les programmes français. » Les jeunes nigériens de cette époque connaissaient tout sur la France et son histoire, alors que les jeunes français ne pouvaient pas dire de même pour le Niger et ne savaient sans doute pas le situer sur la carte (situation toujours identique de nos jours). Les seules fois où la France s’est intéressée au Niger étaient pour défendre les mines d’uranium ou pour contrer les menaces terroristes afin d’éviter une future menace pour son territoire.

    Toutefois, les raisons de mépriser l’Etat français ne doivent pas occulter certains problèmes de la situation au Niger. La jeunesse est de moins en moins éduquée, les moyens pour l’école sont faibles et les enseignants manquent. Les militaires surfent donc sur la haine anti-française qui monte chez des jeunes peu éduqués qui ne votent plus. Une haine aussi tournée contre les dirigeants de leur pays qu’ils accusent d’être les responsables du pillage des ressources locales en les revendant aux pays étrangers.

     

    Réflexion sur l’interventionnisme

    Que penser de cette manie d’intervenir militairement dans des pays étrangers ? Surtout lorsque ces interventions sont plus soucieuses d’un intérêt économique que d’un souci de faire respecter les valeurs humanistes. Prenons l’exemple présent de la relation entre la France et le Niger. Si le Niger rejette l’intervention française et souhaite le retrait des troupes sur place, c’est aussi pour construire son identité loin de celle souhaitée par l’ancien colonisateur. Même si la France n’est plus colonisatrice, sa présence au Niger renvoie un message clair : les dirigeants du Niger et les Nigériens sont dans l’incapacité de se débrouiller seuls. Ils seraient, selon cette pensée coloniale, incapables de mener leur propre politique, de gérer leur sécurité et de porter des valeurs humanistes et républicaines au sein de leurs institutions. Seulement, comment faire pour se construire lorsque l’on a été placé si longtemps sous la tutelle d’un autre pays ? Si un enfant tient la main de ses parents pour s’orienter et continue de le faire en grandissant, il sera dépendant de cette aide. Il n’apprendra jamais à lire une carte ou à utiliser une boussole. Plus il restera sous la tutelle de ses parents, plus il rencontrera des difficultés pour s’en émanciper. L’éducation est une aide à l’émancipation de la tutelle intellectuelle d’autrui et favorise l’indépendance des individus. Seulement, éduquer est synonyme d’altruisme et du souci sincère du développement de quelqu’un. Malgré sa présence dans les pays du Sahel, la France n’a pas aidé à reconstruire le pays parce qu’elle ne s’y investit qu’économiquement et dans son propre intérêt. Le jour où les troupes se retireront complètement, le pays, désorienté par des années de tutelles, se retrouvera potentiellement sous le joug des personnages profitant des instabilités politiques. Les interventions militaires ne peuvent pas résoudre les problèmes des autres pays puisqu’elles ne voient les choses qu’à court termes. Les pays aidés ne sont pas considérés comme des pays voisins.

    En plus de ne pas offrir une aide concrète au développement du pays, les interventions résultent d’un calcul économique ou géostratégique. L’intervention militaire américaine en Irak, justifiée de manière fallacieuse par le président Georges W. Bush, a causé la mort de milliers d’irakiens (dont des civils) et de soldats américains. Il n’existait aucune preuve de la présence d’armes de destruction massive en Irak, argument utilisé pour justifier l’intervention. Depuis la chute de Saddam Hussein, le pays est effondré. Dix ans après, l’état islamique pose toujours des problèmes au nouveau gouvernement et continue de séduire les jeunes irakiens. Autre intervention catastrophique, celle de la France en Libye en 2011 pour « endiguer le développement éventuel de la menace que représente l’Etat islamique en Libye » et destituer le président Mouammar Khadafi. Pour certains habitants en Libye, la situation est pire qu’avant. Des ministres sont enlevés ou séquestrés dans leur ministère, l’insécurité grimpe…  L’interventionnisme ne semble pas pouvoir aider les pays concernés. La violence ne disparait pas sous un tapis de bombe. Elle est un travail de longue haleine et un investissement colossal sur plusieurs années. L’interventionnisme décrédibilise les leaders locaux et humilie les habitants, jugés inaptes à relever moralement leur pays. En jouant au gendarme mondial, les grandes puissances ne font qu’empirer la situation dans des pays qu’ils ne connaissent pas ou peu (culture, langue, histoire). Si la solution n’est que militaire elle ne peut être efficace. La construction de l’histoire des démocraties doit se faire de l’intérieur, bâtie sur les combats d’individus qui souhaitent inclure ces valeurs au sein de leurs institutions. En France, les droits à la sécurité sociale, aux congés payés ou à la semaine de 35 heures ne sont pas du fait de nations étrangères, forçant la main à nos dirigeant pour accepter ces changements. Ces revendications font partie d’un héritage de luttes qui ont été, au fil des années, intégrées par la population, défendues par des partis politiques pour être ensuite perçues comme des droits fondamentaux.

     

    Références