Revue de presse philosophique semaine du 10/07/2023

Approche philosophique des évènements politiques et sociétaux français.

Semaine du 10 au 16 juillet 2023

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    Un bel accueil pour une triste figure

    Ce vendredi 14 juillet, Emmanuel Macron a accueilli chaleureusement le premier ministre Indien Narendra Modi à l’occasion du défilé national. Accolades, présentation des troupes françaises, attribution de la légion d’honneur, diner au Louvres… Le chef d’Etat Indien n’aurait pas pu rêver meilleur accueil. Reçu le jour de la célébration de la fin de la monarchie et de l’avènement de la République, Narendra Modi n’est pourtant pas l’incarnation des devises républicaines. Le rapport alarmant d’Amnesty International sur la situation de l’Inde en témoigne : persécution des minorités religieuses (destruction de leur logement et commerce), restriction de la liberté d’expression, harcèlement et intimidation des journalistes, des militants et des universitaires dont certains sont arrêtés de façon arbitraire. Ce rapport fait le constat de violences qui, si elles se déroulaient sur le territoire français, provoqueraient un nouveau 14 juillet : « Le 10 juin, des médias ont signalé que des policiers avaient utilisé leurs matraques contre des manifestant·e·s, jeté des pierres et tiré sur des passants lors de manifestations à Ranchi, dans l’État du Jharkhand. Un passant a été touché six fois par les tirs de la police alors qu’il rentrait du marché. Deux manifestants, dont un adolescent de 15 ans, ont été tués d’une balle dans la tête par des policiers. »

     

    Economie et diplomatie au dépend de l’humanisme.

    Pourquoi Emmanuel Macron déroule-t-il le tapis rouge à une personne qui rend possible, dans son pays, la discrimination envers les femmes et les minorités religieuses ? Comment arrive-t-il à serrer dans ses bras quelqu’un qui combat quotidiennement la liberté d’expression ? Tout simplement par intérêt économique et diplomatique. Rappelons-le d’abord, malgré toutes les horreurs commises par la politique du premier ministre Indien, ce dernier a été élu démocratiquement en 2014 et réélu en 2019. Peut-être est-ce suffisant pour certaines personnes pour qualifier l’Inde d’Etat démocratique. Ensuite, il faut mettre en lumière les enjeux d’une entente avec l’Inde. Ce géant de plus d’1.4 milliard d’habitants est un des seuls pays en Asie à pouvoir tenir tête à la Chine. Leader du Sud global de l’Asie, allié de la Russie, l’Inde est un allié influent qu’Emmanuel Macron ne compte pas laisser partir. En plus des enjeux géostratégiques d’une telle entente, le président français sait que les affaires avec l’Inde sont bonnes. Alors qu’en 2016, François Hollande signait le plus gros contrat cash de l’histoire en vendant pour 7,9 milliards d’avion Rafales, Narendra Modi a laissé entendre qu’il souhaitait à nouveau faire ses achats en France (avion Rafale et sous-marins Scorphène). L’industrie autonome de défense française vit grâce à l’exportation de sa production (entre un tiers et deux tiers selon le secteur). Une grande partie de l'industrie française est donc dépendante de ces relations.

    Quelle politique internationale adopter ? Faut-il serrer la main de ces chefs d’Etat par seul intérêt diplomatique ou économique quitte à piétiner les valeurs que sont censées incarner les institutions de son propre pays ? Ou faut-il refuser de céder à ces intérêts et rester intègre ?

     

    Non-respect des valeurs républicaines : complice ET acteur

    Dans le cas d'Emmanuel Macron, certaines questions viennent s’ajouter aux précédentes. Car, s’il semble, pour les relations extérieures, mettre de côté les valeurs républicaines, sa politique, bien qu’incomparable avec celle de Narendra Modi, démontre aussi la fragilité de ces valeurs à l’intérieur du pays. Le président français a aussi mis de côté le respect de l’intégrité de certains de ses citoyens pour des raisons économiques. La baisse des aides pour le logement est une mesure qui est allé chercher de l’argent directement dans le porte-monnaie des plus démunis. L’allongement de la durée du temps de travail de deux ans a été décidée sans l’accord du Parlement, sans vote, sans écouter l’avis majoritairement défavorable (jusqu’à 72%) du peuple. Que penser ensuite du silence d’Emmanuel Macron face à l’accaparement des médias par des chefs d’entreprise comme Vincent Bolloré, milliardaire français ancré très à droite politiquement ? Ne devrait-t-il pas se saisir de la question et taper sur les doigts de ceux qui contribuent au racisme et à la xénophobie ? Parce que pour le moment, en France, la droite et l’extrême droite se portent très bien grâce à la plateforme médiatique qui leur est offerte. Sur la chaîne « d’information » continue CNews, des psychiatres viennent parler de société « luciférienne », des émissions catholiques traitent des « forces du mal » et de la décadence de notre société. Les raccourcis et amalgames s’enchaînent comme les invités d’extrême droite. Nous pouvons y voir des invités comme le journaliste Jean-Claude Dassier dire que les « musulmans, ils s’en foutent de la République, ils ne savent même pas ce que le mot veut dire ». Du côté de la radio, à Europe 1, récupérée par le groupe Bolloré en 2021, nous retrouvons la journaliste Sonia Mabrouk, ouvertement réactionnaire et militante pour des valeurs proches de l’extrême droite. Sur C8, chaîne du groupe Canal+ de Bolloré, l’émission « Touche Pas à Mon poste » avec Cyril Hanouna cartonne alors qu’elle met en avant des figures d’extrême droite comme Eric Zemmour ou Jean Messiha. Récemment, c’est la rédaction du Journal du Dimanche (JDD) qui est en grève depuis trois semaines contre le changement de direction de la rédaction, bientôt dans les mains de Geoffroy Lejeune, ex-directeur de la rédaction du magazine d’extrême droite Valeurs actuelles. Le président français a eu une maigre prise de parole pour défendre son ministre Pap Ndiaye, étrillé par Laurence Ferrari, multiple recrue de Bolloré (CNews et Europe1). Le ministre de l’éducation avait attaqué Bolloré le 9 juillet sur Radio J en disant qu’il est un « personnage manifestement très proche de l’extrême droite la plus radicale ».

    Certes, le gouvernement d’Emmanuel Macron n’est pas aussi violent que celui de Narendra Modi. Mais un moindre degré de violence ne veut pas dire non-violence. Le ministre de l’Intérieur indien menace les militants de transformer leur maison en « tas de pierre », le ministre de l’intérieur français Gérald Darmanin nie l’existence de toute violence policière alors que la Ligue des droits de l’Homme accuse l’escalade de la violence policière en France. Le code pénal indien est utilisé contre les minorités religieuses et notamment contre les musulmans. En France, les chaînes invitant régulièrement des personnes qui incitent à la haine ne sont pas assez sanctionnées alors que l’emprise de ces idées sur le champ médiatique s’agrandit. Il semble qu’Emmanuel Macron ne soit pas le meilleur exemple pour incarner un chef d'Etat soucieux des principes fondateurs de son pays  qui serait dévasté de devoir négocier avec des personnes comme Narendra Modi. Le président français n’hésite pas entre ces deux alternatives et incarne parfaitement la citation de De Gaulle : « les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ».

     

    Penser le problème

    Les décisions internationales ne sont pas de nôtre ressort et nous n’avons aucun réel pouvoir décisionnel sur ces choix. Cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir à ces questions. Imaginons un président très attaché à l’égalité des chances, à la démocratie et qui œuvre chaque jour pour que ces principes soient respectés au sein de son pays. Imaginons ensuite que le pays qu’il dirige peut se passer des autres nations en adoptant des mesures économiques et écologiques radicales, afin que la moindre ressource produite soit distribuée de façon équitable à la population. Lorsque les négociations avec d’autres pays commenceront, le président de ce pays se posera la question suivante : faut-il prendre le risque de la guerre ou de l’isolement pour défendre des valeurs qui nous sont chères ?

    Certains répondront par la négative, affirmant qu’il vaut mieux s’allier que périr. Parmi les arguments déployés, celui de vivre mieux, avec plus de ressources, en développant le commerce avec les autres nations. Certains d’entre eux craindraient aussi de s’isoler et de devoir faire face à l’expansion des territoires et à l’influence de puissantes alliances. D’autres répondraient l’inverse et préféraient sombrer en défendant des idées plutôt que de négocier avec des puissances qui bafouent les droits humains fondamentaux. Ces derniers argumenteraient que ces droits sont l’héritage d’une évolution longue et pénible des droits. Il n’est guère possible selon eux de financer ou de participer au développement d’une nation où les citoyens sont maltraités. Le choix est difficile car il dépend aussi du pays qui doit y répondre. Si un territoire est stérile ou si sa population trop dense pour vivre de ses richesses naturelles, les dirigeants sont obligés de négocier et d’échanger avec d’autres Etats pour ne pas voir sa population migrer vers d’autres territoires. Dans le cas de la France, Emmanuel Macron aurait pu faire le choix d’une politique plus souveraine en favorisant les circuits courts, en soutenant la production locale par des exploitations de petites tailles, en décentralisant la gestion du pays, donnant en-cela plus de pouvoir local aux citoyens. Une France souveraine au sens d’indépendance par rapport aux autres nations, ce qui ne veut pas dire fermée aux autres populations et à l’immigration. Si les pays voisins partagent les mêmes idéaux, il devient censé d’en faire des alliés. C’est le principe de base de l’Europe qui a été créée dans un but de paix entre plusieurs nations.

     

    Le choix d'un seul

    La richesse du territoire français permettrait tout du moins de tendre vers une indépendance énergétique si sa population, soutenue par des mesures politiques radicales, acceptait de vivre autrement. La politique capitaliste consumériste et centralisée que l’on retrouve en France est à l’opposé de ce mode de pensée. Notre mode de vie rend impossible toute indépendance énergétique. La politique consumériste est axée sur les relations extérieure pour proposer à ses habitants (du moins ceux qui en ont les moyens) une vie où ils peuvent avoir une ou plusieurs voitures, une télévision, tout un tas d’objets personnels qui consomment sans compter. Pour favoriser cette économie, pour être dans la croissance permanente et accroître une productivité qui repose sur la consommation de matériaux qui sont, eux, limités, Emmanuel Macron oublie les atrocités commises par les chefs d’Etats auxquels il serre la main. Lui seul s’octroie le droit de faire ces choix. Ses décisions politiques font de la France un pays où tous ceux qui y travaillent contribuent plus ou moins directement à ce système, qu’ils le veulent ou non.

     

    Références