Revue de presse philosophique semaine du 14/08/2023

Approche philosophique des évènements politiques et sociétaux français.

Semaine du 14 au 20 août 2023

·

    Des voix à récupérer

    L’écologie suscite de plus en plus d’intérêt en politique, et pas toujours pour les bonnes raisons. Le sujet est principalement défendu en France par le parti écologiste français Europe Écologie Les Verts et les associations écologistes. L’éveil de l’intérêt écologiste chez les autres partis est en partie lié à l’évolution de nos mœurs et à la transformation de notre imaginaire collectif sur l’impact de nos sociétés sur l’environnement et sur la biodiversité. Ces changements ont été dans un premier temps rendus possible grâce au martèlement d’informations alarmantes par des organismes comme le GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) qui fournit des « évaluations détaillées de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques sur les changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions potentielles et les stratégies de parade ». Depuis sa création en 1988, le GIEC a publié six rapports qui « synthétise les connaissances scientifiques sur le changement climatique ». Le constat de ces rapports est formel : le changement climatique est causé par les activités humaines.

    La transformation de notre imaginaire sur le sujet de l’écologie a aussi été rendue possible par le combat des militants et de centaines d’associations dans le monde, qui œuvrent chaque jour depuis des dizaines d’années pour alerter le peuple et les institutions sur les dangers de nos modes de vie. Cependant, aucune mesure radicale et suffisante n’a été préconisée par nos gouvernements. Seul le réel, c’est-à-dire l’impact sensible de ces changements sur nos vies, suscite une réaction humaine. Les preuves scientifiques, les données sur la surproduction de produits énergivores nécessitant des matériaux qui ne sont pas en abondance sur notre planète, les scandales environnementaux comme en Amazonie, aucune information sur des faits gravissimes n’a réussi à influencer les gouvernements pour que nous tendions vers des modèles plus soucieux de l’environnement. Certaines batailles peuvent être gagnées (interdiction de la pêche en eau profonde, reforestation au Costa Rica). Mais ces victoires ne suffiront pas à enrailler la machine productiviste capitaliste, aveugle aux conséquences de son fonctionnement. Si les politiques ne souhaitent pas prendre des décisions radicales, il reste à convaincre les citoyens, ce qui n’est pas chose aisée. Revenons au seul cas de la France. Selon une étude de l’OCDE en 2022, même si 88% des Français croient au réchauffement climatique, seuls 57% d’entre eux sont convaincus que l’humain est le principal responsable (14% estiment que l’Homme n’est pas responsable du tout, 11% pensent qu’il l’est un petit peu et 18% un peu).

    Malgré ces chiffres, les récents évènements climatiques (sécheresses, incendies, températures record, ouragans) inscrivent la catastrophe dans le réel et finissent, via la contrainte, par bousculer les mentalités. La catastrophe écologique, prédite par les scientifiques, ne peut être évitée, car elle ne s’inscrit de manière globale dans les esprits seulement à partir du moment où elle affecte les corps. Les transformations brutales du climat et des phénomènes météorologiques ont poussé les gens à tendre un peu plus l’oreille à ce que disent les associations qui avaient pourtant alerté sur ces changements à venir des années auparavant. Le réel s’impose à nous et les acteurs politiques l’ont bien compris. S’ils souhaitent récupérer des voix, ils devront intégrer l’écologie à leur programme. Nous verrons donc comment les différents bords politiques s’emparent du sujet de l’écologie et quelles sont leurs véritables motivations derrière cet engagement.

     

    À gauche

    Si nous revenons un peu dans le passé, on peut distinguer à gauche une scission idéologique qui date du XIXe siècle. Nous constatons deux approches : l’écologie scientifique marxiste et l’écologie utopique proudhonienne. La première est matérialiste et dialectique, elle considère que seules les transformations matérielles amèneront à la transformation de nos sociétés (matérialisme historique). La seconde est idéaliste et métaphysique, elle estime que c’est le changement de récit et la transformation du politique qui amèneront ensuite à des transformations de production. Ainsi l’écologie scientifique décrit l’influence de l’infrastructure (modèle économique et de production) sur la superstructure (juridique et politique) tandis que l’écologie utopiste décrit l’inverse. Comme l’explique l’architecte Philippe Rahm dans AOC, les figures actuelles de l’écologie sont presque toutes dans le camp de l’écologie scientifique (même si elles ne se disent pas toutes « de gauche »). Jean-Marc Jancovici parle d’une transformation de nos sociétés par l’évolution de notre consommation d’énergie due à l’évolution de la technique. Greta Thunberg, nouveau visage international de l’écologie, dit qu’il faut écouter les scientifiques pour améliorer les conditions de vie du vivant, comme le faisaient Engels et Marx pour la condition des ouvriers. Les principales associations de défense de l’environnement agissent aussi de cette façon, toutes convaincues que des mesures radicales aideront à transformer nos sociétés (baisser nos émissions de CO2, arrêter l’utilisation du pétrole, modifier notre alimentation). L’écologie utopique n’est pas la priorité actuelle des mouvements écologistes, même si on la retrouve au sein de certains débats éthiques dans le but de changer les mentalités (sur le sujet de la consommation de viande par exemple). Au lieu d’essayer de modifier l’imaginaire, l’écologie scientifique préconise des changements matériels. Car, ce sont bien les changements climatiques qui affectent le politique et non l’inverse. Les utopies, bien qu’ayant maintes fois nourri le monde révolutionnaire, n’ont pas servi à grand-chose lorsqu’il s’agissait d’inciter les gouvernements à se soucier davantage de l’environnement. La nouvelle génération d’écologistes ne fait plus confiance à la superstructure pour changer l’infrastructure. Même si certains candidats aux élections présidentielles de 2022, comme Jean-Luc Mélenchon, avaient un programme plutôt cohérent et radical sur l’écologie, ils ne sont pas aux commandes aujourd’hui. Le temps manque et les mentalités évoluent lentement, à un rythme insuffisant pour que celles-ci aboutissent à une amélioration de notre société. Face à cette urgence climatique, les activistes prônent donc l’écologie scientifique, menant des actions contre les modèles de production polluants et dénonçant nos façons de consommer.

    Si l’écologie radicale actuelle se base sur une approche scientifique et matérialiste de l’écologie, cela ne veut pas dire que toute la gauche défend la même éco-politique. Il subsiste aussi, dans la pensée politique communiste, une peur marxiste que l’écologie ne remplace l’économie. Cette pensée communiste, incarnée de nos jours par des personnages comme Frédéric Lordon, a peur de cette nouvelle écosophie du ré-ensauvagement, des dynamiques de « reprises de terres ». Lordon, en bon marxiste, veut détruire le capital et non pas « pleurnicher le vivant ». Cette pensée communiste oppose la lutte des classes à la lutte pour le climat en affirmant que l’écologie dépolitise la question sociale. Selon ses adhérents, ce serait seulement en détruisant le capitalisme que l’on pourrait tendre vers des modes de production plus écologiques. Cependant, comme le disait Bruno Latour, « l’écologie, c’est la nouvelle lutte des classes ». Nous ne pouvons plus opposer de façon caricaturale les « bobos » qui auraient le temps de s’intéresser à la question écologique, aux prolétaires, qui ne s’y intéresseraient pas et qui souhaiteraient simplement un bout de viande dans leur assiette, peu importe sa provenance. L’écologie concerne chaque personne et les questions éthiques soulevées par les activistes du climat ne devraient pas être écartées d’un revers de la main. Comme le souligne le philosophe Antoine Chopot, « on peut être anticapitaliste parce qu’on est sensible au monde sauvage, aux conditions de vie des vivants, à leur épanouissement, à leurs points de vue, et aux relations constitutives avec le reste des habitants ». De plus, la destruction du capitalisme n’amène pas nécessairement à une société moins polluante et plus respectueuse de l’environnement. C’est ce que fait remarquer le philosophe Pierre Charbonnier : « on peut tout à fait imaginer que le triomphe d’une révolution communiste mondiale au XXe siècle nous laisserait avec un “bilan carbone” encore pire que celui constaté aujourd’hui, tout simplement parce que ses performances productives et développementales auraient été bien meilleures ».

     

    À droite

    À droite aussi, bien que provenant d’une idéologie différente, nous retrouvons l’idée d’une solution écologiste par la transformation des moyens de production. Le camp du président Macron parle « d’énergies renouvelables » ou « vertes », celui du Rassemblement National pense que le progrès scientifique permettra de résoudre tous les problèmes en matière d’écologie. Alors que les partis de la droite néolibérale sont plutôt cohérents dans leurs engagements par rapport à leur philosophie, l’extrême droite, en soutenant le « technosolutionnisme », se mord la queue. En effet, la pensée libérale capitaliste prône la croissance, l’évolution constante du « progrès » technique qui, par le développement de nouvelles technologies, favorise la production et stimule le marché. Mais l’extrême droite, qui porte des valeurs anti-européennes et qui s’oppose à toute mondialisation, vient s’embourber lorsqu’elle défend des solutions liées aux technologies. Que faire si la France n’a pas les capacités matérielles, intellectuelles ou technologiques pour répondre aux enjeux climatiques ? Faudra-t-il continuer de se fermer au marché européen ?

    Toujours est-il que la solution ne se trouvera pas seulement dans le progrès technique, c’est en tout cas ce qu’affirme l’Académie des technologies pour qui « les technologies ne suffiront pas ». Il faudra aussi, selon elle, prôner la sobriété qui n’est pas le chemin choisi, ni à droite, ni à l’extrême-droite. Aucun des partis de droite ne souhaite contraindre le consommateur et réduire ses plaisirs, de peur de perdre des électeurs. Que ce soit le camp de Macron ou celui de Le Pen, aucun ne prône une écologie dite « punitive » (c’est-à-dire une écologie qui remet en question la liberté individuelle). Macron l’a bien prouvé en réprimant sévèrement les militants qui s’opposaient aux mégabassines dans les Deux-Sèvres en mars dernier ou en acceptant la proposition de son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui souhaitait dissoudre le collectif écologiste « Les Soulèvements de la Terre » (dissolution suspendue par le Conseil d’État). Du côté de Marine Le Pen, on oppose « le bon sens de la terre, du paysan, contre l’idéologie urbaine bobo » en soutenant le premier syndicat d’exploitants agricoles, la FNSEA qui, lors de diverses manifestations visant à défendre son modèle agricole, a dévasté un parc naturel régional, projeté du lisier au Conseil d’État à Paris ou encore saccagé le stand du ministère de l’Agriculture. Le gouvernement, en s’attaquant principalement à des mouvements comme "Les soulèvements de la terre" plutôt qu’à la FNSEA, choisit aussi son camp, celui de l’agro-industrie, de l’usage intensif de pesticides et d’une agriculture productiviste et destructrice.

    L’extrême-droite sait que son électorat se situe aussi dans les campagnes, où ces modèles agricoles ne sont pas toujours remis en question. Là où l’extrême-droite rejoint d’ailleurs la pensée communiste, c’est lorsque qu’elle oppose le travailleur ou le paysan à « l’écolo bobo ». Nous retrouvons alors une fausse opposition entre écologie et défense du prolétariat. L’extrême droite, tout comme une partie de la gauche, s’oppose aux « technos hors sol ». C’est aussi sur ce même point que l’extrême-droite vient se différencier de la droite traditionnelle qui, elle, défend ces « technos ». Mais ce qui fait la spécificité de l’extrême-droite est sa pensée qui, selon un article du journal Le Monde, s’apparente à l’agrarisme, « mouvement transnational de la ruralité né en Europe à la fin du XIXe siècle et récupéré par les élites foncières […]. Il correspond à la vision, partagée par le RN et une partie des Français, que ces derniers sont victimes de la mondialisation et de l’Union européenne (UE) – quand bien même la FNSEA défend avec succès les intérêts des grands exploitants à Bruxelles ».

    Ainsi, nous retrouvons deux camps à droite. Celui d’une droite/ extrême-droite conservatrice, qui refuse de voir le monde changer. Celle-ci considère que les questions sur la condition animale, sur la nocivité des méthodes agricoles pour les sols/ l’eau/ l’air sont des préoccupations de bourgeois ou de la « bien-pensance ». Le deuxième camp est celui qui est actuellement au pouvoir et incarne la droite libérale capitaliste. Celui-ci ne souhaite qu’une seule chose : continuer à produire, vendre, augmenter les bénéfices pour les entreprises, favoriser leur croissance. Pour ne pas avoir l’air ridicule lorsqu’elle parle d’écologie, alors qu’elle prône un système basé sur la vision d’un monde aux ressources illimitées, cette droite se cache derrière des termes attractifs. Elle parle « d’énergie verte », « d’énergies renouvelables », « de transition énergétique », « de transition écologique » … Tous ces termes ne servent qu’à « faire semblant » de s’intéresser à la question climatique pour continuer à produire frénétiquement. Les mesures radicales sont rejetées parce qu’elles réduiraient la liberté individuelle de chacun. Cet argument est fallacieux, le libéralisme économique restreint déjà les libertés individuelles de la très grande majorité de la population pour préserver ou accroître les privilèges de quelques-uns.

    Il ne faudra donc pas s’attendre à du courage politique en matière d’écologie chez les partis de droite. Pour prendre des mesures écologistes courageuses, il faut au préalable être convaincu que l’enjeu climatique est primordial.

     

    Qu’en penser ?

    Difficile de trouver sa voie lorsque l’on observe toutes ces éco-politiques différentes. Pour commencer à réfléchir sur la question climatique, il faudrait partir des faits relevés par le GIEC ou d’autres organismes qui démontrent depuis des années que le changement climatique est réel et d’origine humaine (anthropocène). Notre modèle de production est défaillant parce qu’il épuise les ressources planétaires nécessaires au vivant et détruit notre habitat, certaines pertes sont irréversibles. Ainsi, la logique voudrait que nous prônions un modèle moins polluant, que nous tendions vers la décroissance en ralentissant notre production et en la focalisant sur des choses plus nécessaires. Cela ne signifie pas encourager un éco-totalitarisme et prendre des décisions sur les moindres aspects de la vie individuelle des citoyens. Il existe un juste milieu entre une production démesurée et un modèle totalitaire qui rationnerait sa population. La démesure doit être dénoncée parce qu’elle a été trop longtemps défendue. Comment est-il possible d’autoriser encore de nos jours l’activité d’entreprises ultrapolluantes ? Un peu d’écologie utopiste semble nécessaire. Les questions éthiques doivent circuler, bousculer les imaginaires. Cela ne signifie pas que toute la population doit choisir son camp idéologique en devenant soit végan, soit chasseur. Cependant, la démesure d’une production incontrôlée, qui a poussé à l’extrême indifférence face à la souffrance humaine et animale de manière générale, doit être remise en question. Pendant que cette prise de conscience s’effectue, il faut agir en s’inspirant de la pensée écologiste scientifique. Plusieurs fronts sont possibles et compatibles, comme encourager une production locale respectueuse des règles de l’agriculture biologique, ou bien mener des actions militantes contre des sociétés qui dévastent notre écosystème. Socialisme matérialiste et utopique peuvent aussi converger en acceptant l'idée que les influences entre structure et infrastructure sont interactives. Sans virer à l’extrémisme, il est possible de discuter des questions éthiques et de tomber d’accord sur certains faits. Un changement global ne s'inscrira dans le temps que s'il prend racine sur un terrain fertile. Cependant, pour que ce changement s’opère à temps, il est possible qu’une certaine radicalité soit nécessaire.

    Revenons enfin sur la pensée communiste. Transformer notre société en un modèle plus viable nécessite de remettre en question le modèle capitaliste. Ainsi, rien ne sert d’opposer lutte des classes et lutte contre le réchauffement climatique, bien au contraire. Les premiers à pâtir du changement climatique sont les classes populaires (victimes de l’inflation lorsque les denrées se font plus rares, disposant de peu de moyens pour isoler leur logements ou pour bien se chauffer l’hiver). Penser que les classes populaires ne s’intéressent pas aux questions éthiques et écologiques serait une erreur, tout comme le fait d’opposer social et sociétal lorsque l’on traite du droit des minorités. Il faut donc faire attention à ne pas entretenir la confusion. Produire localement ne veut pas dire se fermer au monde et prôner un souverainisme qui refuserait toute immigration ou négociation avec des pays étrangers. Produire bio ne signifie pas détruire le milieu rural, mais au contraire l’enrichir en favorisant une agriculture respectueuse des sols et de la biodiversité. Prôner le réensauvagement des territoires ne signifie pas nécessairement basculer vers une morale ésotérique, religieuse ou animiste, mais plutôt concilier une agriculture qui se mêle au vivant sans le détruire (ex. permaculture). Au lieu de raser des milliers d’hectares et détruire tout ce qui vit dessus, il est possible d’implanter différentes espèces qui savent vivre ensemble et récolter ensuite le fruit d’un « travail » naturel. Cela demande plus d’efforts et nécessite une société plus sobre en énergie. Mais notre modèle sera indéniablement plus sobre dans le futur. La sobriété nous sera imposée, soit par l’épuisement de nos ressources, soit par des mesures radicales qui certes limiteront nos libertés individuelles mais qui par ailleurs nous permettront de vivre plus sereinement et de façon plus harmonieuse sur notre planète. Voilà une pensée à la fois « de gauche » parce qu’elle souhaite défaire un modèle capitaliste inégalitaire, « écologiste » parce qu’elle demande une protection de la biodiversité, « nuancée » parce qu’elle souhaite poursuivre le débat éthique sans apporter de réponses hâtives, « utopiste » parce qu’elle croit au changement de récit, « scientifique » parce qu’elle se base sur des éléments factuels. La nuance n’empêche pas d’avancer, au contraire, elle empêche la lutte d’être sabotée par des fantasmes et de fausses oppositions.

     

    Références