Theodoor van Thulden, Apollon poursuivant Daphné, huile sur toile, 1636-37.
Theodoor van Thulden, Apollon poursuivant Daphné, huile sur toile, 1636-37.

Essai d'Arianna Volpi (Institut Florimont, GE), gagnante des Olympiades suisses de philosophie

Essai sur une citation d'Elinor Mason

« Il est clair que nous pouvons jouir de choses que nous ne désirons pas et désirer des choses dont nous ne jouissons pas. Il semble donc que toute analyse du plaisir en terme de désir est vouée à l’échec. » (Elinor Mason, « The nature of Pleasure : A critique of Feldman »)

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    Tout d’abord, le désir, pouvant se traduire par une envie ou une volonté, et le plaisir, sentiment positif, de satisfaction, sont étroitement liés et l’un semble découler de l’autre. Toutefois, selon Elinor Mason, « Il est clair que nous pouvons jouir de choses que nous ne désirons pas et désirer des choses dont nous ne jouissons pas. Il semble donc que toute analyse du plaisir en terme de désir est vouée à l’échec. ». Il semblerait alors, d’après sa thèse énoncée au sein de « The nature of Pleasure : a Critique of Feldman », que le plaisir et le désir ne vont pas forcément ensemble : le plaisir ne correspondrait pas à l’accomplissement d’un désir et leur mise en relation n’aboutirait pas. Ainsi, dans quelle mesure, le plaisir ne serait-il pas une conséquence intimement liée au désir ? Le plaisir n’a t-il pas de rapport avec la notion de désir ? Quelle serait donc la source du plaisir ? En premier lieu, s’il semblerait que le plaisir est procuré par la satisfaction de nos désirs, désir et plaisir peuvent cependant ne pas être associés et ces deux notions peuvent également être conflictuelles et indépendantes l’une de l’autre.

    Selon l’opinion commune, le plaisir pourrait dépendre des désirs et être procuré par leur satisfaction. Ainsi, l’analyse du plaisir en termes de désir pourrait être possible. Il semblerait que lorsque nous désirons une chose, ce qui découlerait de notre désir serait un sentiment positif, comme de réussite et de bonheur liée à son accomplissement. Cette sensation immédiate et temporaire est uniquement liée à l’accomplissement de son désir. En imaginant avoir l’envie d’une glace, cette envie n’étant pas un besoin, car ce n’est pas une nécessité vitale, mais un désir, lorsque l’on éprouve ce désir, notre but est de le satisfaire afin d’éprouver un sentiment d’apaisement et de bien-être et donc du plaisir. Nous allons, alors nous procurer l’objet du désir ce qui va nous apporter du plaisir. Le plaisir semblerait donc une simple conséquence, ou même le but ultime, du désir. Ainsi, le plaisir pourrait être dans un premier temps analysé en termes de désir si le seul but le seul élément fournit par le désir serait le plaisir dans le cadre d’une relation simple désir-plaisir.

    De plus, il semblerait possible associer le plaisir au désir mais également l’analyser en termes de désir si l’un et l’autre s’accompagnent. Selon Epicure, en effet, nos désirs peuvent aboutir au plaisir dans la mesure où une vie heureuse est possible par la satisfaction de ces derniers. Le plaisir qu’ils procurent dépend, tout de même de leur nature : il faut ainsi différencier plusieurs types de désirs. Certains sont alors primaires et vitaux : ce sont les besoins. Ces besoins, en tant que nécessités à la vie, diffèrent des désirs et ne nous apportent pas de réel plaisir car nous ne pouvons pas vivre sans eux. Ensuite, il y a des désirs positifs, qui peuvent être source de plaisir, et d’autres, néfastes, qu’il faut éviter. Le plaisir pourrait donc découler de l’accomplissement du type de désirs positifs et dans ce cas être analysé en terme de désir. Si une vie heureuse est possible par le biais de l’acceptation et de l’accomplissement de ses désirs, le plaisir est alors une conséquence du désir, étroitement liée à ce dernier. C’est pourquoi, il semblerait que désir et plaisir s’accompagnent.

    En outre, il semblerait que le but premier du désir soit sa satisfaction et ainsi un quelconque plaisir. C’est le cas notamment au niveau de relations amoureuses. Selon Aristote, en effet, le désir que l’on éprouve pour une personne disparait quand il est accompli : le plaisir découlerait donc du désir et en marquerait également le point final. Dans ce cas, le plaisir, en tant que suite au désir, pourrait être analysé en terme de désir. C’est-à-dire que le plaisir découlerait directement du désir et de la volonté de l’accomplir. Le plaisir succède le désir et précède l’ennuie. Néanmoins, le plaisir découlerait directement du désir. C’est pourquoi, il serait possible qu’une analyse du plaisir en terme de désir existe.

    Toutefois, il est vrai que nous pouvons désirer ce qui ne nous procure pas de plaisir ou avoir du plaisir grâce à ce que nous ne désirons pas. Dans ce cas, le plaisir ne correspondrait pas forcément au désir et leur relation devient alors plus conflictuelle. En effet, le plaisir provient également d’évènements, d’actions ou de choses que nous ne désirons pas. Nous ne savons pas que telle ou telle chose procurerait un plaisir mais c’est le cas. Le plaisir peut être inattendu et n’être alors pas conséquence du désir. L’analyse du plaisir en termes de désir ne serait donc pas adaptée. Par exemple, une chose que nous ne désirons pas peut nous procurer un plaisir, comme si nous mangeons un aliment nouveau que nous ne désirons pas réellement, du moins que nous n’avons pas conscience de désirer, et que nous découvrons que cet aliment nous procure du plaisir. Le plaisir peut exister sans désir. Le plaisir semble alors autonome et indépendant du désir.

    Par ailleurs, il est également possible que les choses que nous désirons ne soient pas source de plaisir. Nous pouvons nous rendre compte que ce qu’on pensait source de plaisir ne le soit pas. On peut ainsi désirer des choses que l’on n’apprécie pas ou ne pas ressentir de plaisir en accomplissant notre désir : si on éprouve le désir de manger une glace, le fait de manger cette glace pourra certes être source de plaisir mais ceci n’est pas une obligation ni un cas général et universel, dans le cas où la glace n’est pas bonne par exemple. De surcroit, l’exemple du sadomasochisme pourrait en témoigner car le but de ce désir est la souffrance plus que le plaisir : le but est donc quelque chose dont nous ne jouissons pas. Le plaisir pourrait tout de même être procurer par la souffrance même. C’est pourquoi Platon soutient que le désir est la source de perdition de l’homme et le plaisir ne serait présent uniquement que lorsque le désir lui-même est absent. En effet, lorsque l’on désire quelque chose, notre but étant alors de satisfaire ce désir, un sentiment négatif est présent. La frustration découlerait alors du désir et non pas le plaisir. On serait alors à la recherche permanente de satisfaire un désir pour le plaisir mais ce dernier ne serait pas réellement atteint. Le désir nous procurerait ainsi une éternelle souffrance et l’ennui remplacerait le plaisir, comme d’après Schopenhauer selon lequel, « notre vie est comme un pendule qui oscille entre souffrance et ennuie ».  L’analyse du plaisir en tant que désir serait alors vouée à l’échec et l’existence même du plaisir remise en cause.

    Le désir serait également la source de perdition de l’homme et le plaisir ne pourrait être atteint qu’en s’en affranchissant définitivement. Une analyse du plaisir en termes de désir serait alors impossible dans la mesure où le désir est vu comme quelque chose de négatif, néfaste. Le désir et le plaisir ont une relation conflictuelle d’éternelle insatisfaction. Leur relation même est à remettre en cause si l’assouvissement de l’un entraine la perte de l’autre. Si on obtient ce que l’on désire, on éprouve du plaisir et le désir n’est plus présent : si on veut manger une glace, réaliser cette action pourra nous procurer du plaisir mais le désir de manger une glace ne sera plus présent. Le désir et le plaisir ne peuvent pas cohabiter. L’analyse du plaisir en termes de désir n’est non seulement vouée à l’échec mais aussi inexistante et impossible.

    Pour conclure, même s’il semblerait que le plaisir découle de la réalisation de ce que l’on désire et ainsi que plaisir et désir soient des notions indissociables et qu’une analyse du plaisir en termes de désir soit plausible ; l’étude de cette relation et de cette analyse révèlerait en fait que le désir ne procure pas forcément du plaisir et que le plaisir ne résulte pas nécessairement d’un désir préexistant. Ainsi, non seulement l’analyse du plaisir en termes de désir serait vouée à l’échec, mais elle serait aussi erronée et illusoire. Le plaisir ne se réduit donc pas à une conséquence du désir et leur relation même peut être remise en cause, l’un n’impliquant pas forcément l’autre.