Gayané Naroyan: stagiaire à la fondation DiDé (Dignité en Détention)

Bien qu’à première vue les compétences acquises durant les études en philosophies peuvent sembler difficilement applicables au monde professionnel, l’expérience montre qu’elles favorisent le développement de compétences très importantes et transversales

    À différence de ce que nous entendons souvent affirmer, les études en philosophie peuvent avoir une pertinence pour l’exercice de différents métiers qui vont bien au-delà de l’enseignement et de la recherche académique. Avec un Master en philosophie et une première expérience professionnelle dans le monde de la coopération internationale, je vois maintenant l’importance que la philosophie a eu dans mon parcours. En effet, cela m’a aidée à développer certaines compétences qui sont fondamentales dans mon domaine d’intérêt.

    Premièrement, la coopération internationale implique un engagement dans des contextes qui nous sont souvent peu connus d’un point de vue culturel, sociologique, économique et politique. Une grande ouverture d’esprit est donc nécessaire. Cela surtout dans des situations qui nous amènent à collaborer et à formuler des solutions face à des personnes qui ont des positions différentes. Savoir remettre en doute ses propres opinions devient alors très important pour la réalisation des buts fixés. La philosophie, qui entraîne à la confrontation entre arguments et thèses souvent opposés ainsi qu’à la réflexion sur les objections qui pourraient être adressées à son propre argument, prépare l’acteur de la coopération internationale à développer cette posture d’ouverture.

    Deuxièmement, travailler dans la coopération internationale exige des excellentes capacités d’analyse desquelles dépend la réussite des projets. Les contextes dans lesquels s’insèrent les actions mises en œuvre sont souvent complexes et méconnus. Cela rend difficile de saisir avec exactitude les problématiques réelles et de trouver des solutions efficaces et adaptées. De plus, la coopération internationale touche très souvent à des phénomènes complexes et multidimensionnels, tels que la pauvreté, l’égalité de genre et l’éducation. Les causes des phénomènes qu’elle vise sont souvent multifactorielles au même titre que les conséquences engendrées. Le professionnel doit donc être capable de rendre ces phénomènes compréhensibles et opérationnels. Analyse, réflexion, capacité à problématiser, ainsi qu’à trouver des solutions – parce que la coopération internationale consiste à trouver des solutions à des problèmes complexes – sont les compétences à la base de la pratique philosophique qui se révèlent être alors fondamentales dans ce domaine.

    Troisièmement, la capacité d’argumenter peut amener une réelle plus-value dans un domaine qui est caractérisé, même d’un point de vue éthique, par des situations contradictoires. Analyser ces situations et identifier les causes doit être une pratique qui oriente les décisions stratégiques. Être capable d’argumenter les choix et la logique d’intervention des projets et des actions permet alors de donner du sens et de la crédibilité aux interventions qui s’insèrent dans des contextes éthiquement compliqués.

    Quatrièmement, les phénomènes visés par la coopération internationale appellent souvent à des réflexions qui sont proprement philosophiques. À titre d’exemple, la Fondation DiDé (Dignité en Détention) – avec qui je collabore dans le cadre d’un stage – a pour mission l’amélioration des conditions de détention et l’augmentation des chances de réintégration des personnes en détention, notamment les groupes plus vulnérables tels que les femmes et les mineurs. Cette mission se traduit dans des actions pratiques et ponctuelles, telles que l’aménagement des infrastructures pénitentiaires, la création de cours de formation scolaire et/ou professionnelle et un accompagnement en santé mentale. Cependant, ces actions se basent sur des présupposés philosophiques et ne peuvent pas avoir lieu sans ces présupposés. Une certaine définition de justice ainsi qu’une représentation spécifique de la prison et de la criminalité sont nécessaires aux interventions de DiDé et les justifient. Mener une action dans la coopération internationale nous oblige alors à nous pencher sur des questions philosophiques. Avoir déjà eu la possibilité de se poser ces questionnements, de lire et d’analyser les textes des auteurs qui ont traité ces questions dans le cadre des études universitaires sont sans doute des avantages.

    J’ai essayé de résumer en quatre points la façon dont mes études en philosophie m’ont permis d’acquérir des compétences importantes pour l’exercice professionnel dans le domaine qui m’intéresse. Toutefois, cette liste n’est pas exhaustive. En fait, dans ma pratique professionnelle quotidienne je me rends compte de manière régulière de l’impact de mes études sur les tâches qui me sont demandées. Par exemple, dans le cadre du suivi des projets et de la communication, des excellentes capacités rédactionnelles sont requises. Quand je suis amenée à développer un support de communication relatif aux activités de la Fondation, je comprends l’importance de l’entraînement que je possède grâce à la rédaction des travaux de séminaire et du mémoire. La capacité à anticiper les problèmes qui peuvent émerger et de réfléchir de manière orientée vers les solutions sont aussi des habilités qu’une formation philosophique aide à développer et qui sont importantes dans presque toute pratique professionnelle.

    Bien qu’à première vue les compétences acquises durant les études en philosophies peuvent sembler difficilement applicables au monde professionnel, l’expérience montre qu’elles favorisent le développement de compétences très importantes et transversales, telles que l’analyse et l’argumentation.