Par Adrien Adelphos

La porridgification: l'esprit devenu "tolérant"...

Réflexion sur la notion de tolérance, sur ses cachotteries et son impossibilité d'être dans l'absolu.

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    Aujourd'hui, on assiste à un phénomène aussi répandu que mal décrit: La porridgification de l'esprit. Cette dernière est le résultat d'un relâchement de notre instinct hiérarchisant, de notre propension à dire ce qui est le mieux et ce qui est le pire, de notre volonté finalement de postuler un bien et un mal. Il n'y a rien aujourd'hui de plus mauvais ton que de proposer une hiérarchie quelle qu'elle soit. L'Esprit d'aujourd'hui se contente de tout accepter et fait de cette acceptation totale la vertu souveraine qu'il nomme tolérance. Il tolère ce qu'il ne peut rejeter, ce dont le rejet lui vaudrait l'anathème et le mépris d'autrui. Sa propension à ne pas réussir à hiérarchiser le Réel, ce qui est l’activité même du sage selon Emerson, fait qu'il n'a pas d'autre choix que d'élever au rang de principe moral ce qui est pour lui une nécessité. Un homme-porridge est un homme qui n'arrive pas à juger et qui dit oui à tout ce qui dissout le plus sûrement toutes hiérarchies et toutes normes.

    Il n'y a donc rien de plus suspect, de nos jours, qu'un homme qui affirme péremptoirement ce qui est mieux, ce qui est bien, ce qui est bon, et, par conséquent, ce qui est pire, ce qui est mauvais, ce qui est mal. Bon nombre de sujets de société sont touchés par cette peur de la hiérarchisation. Ceux qui se prétendent libéraux et tolérants, ne font souvent à leur insu qu'instaurer de nouvelles normes sans même s'en rendre compte.

    Si nous prenons par exemple le débat du genre, qui fait rage aujourd'hui, nous voyons, nous constatons que toutes les revendications à des genres nouveaux ne peuvent se faire que par exclusion de tout autre type de demande qui pourrait émaner d'un autre groupe de personnes. En repoussant un petit peu la limite, ces esprits s'imaginent qu'ils sont dans une forme de tolérance absolue alors qu'ils ne font que cacher leur manière à eux de donner des normes à la réalité, de lui donner une hiérarchie. Par exemple leur intolérance à ce qu’il nomme intolérance, ou encore à ce qui serait trop tolérant.

    Ainsi tout le débat sur le sexe et sur le genre, la revendication qu'un homme biologique puisse devenir une femme par la chirurgie, par l’instrumentalisation de la médecine, l'exigence qu’il soit moralement bon de passer de l'un à l'autre s'accompagne de mesure d'exclusion. Si un petit nombre d'homme revendiquait leur droit de devenir des "rhinocérhommes", c'est-à-dire des hommes doté d'attributs de rhinocéros comme une peau dure ou une corne, tout le monde serait pris d'un fou rire, il serait même politiquement correct de rire. Mais s’ils deviennent légion, il ne sera plus acceptable d'en rire, des comités d'éthique nous expliqueraient combien sérieux est leur demande, combien il est nécessaire et même urgent d'utiliser la médecine à ces fins nouvelles. Le fait de repousser les limites n'aura jamais de fin et l'Homme, si cela est son choix, peut décider de devenir n'importe quoi

    Il n'y a donc personne qui ne soit pas réactionnaire à sa façon. Personne n'est plus libéral qu'un autre.

    Conclusion: toute la différence qui peut y avoir entre les différentes revendications réside dans le fait d'assumer ou non la propension de chacun à hiérarchiser et donc d'être relatif, injuste et partial (au bon sens du terme, au sens nécessaire du terme). Comme le dit sagement Goethe: "on ne peut pas être juste avec tout le monde"... Auront plus de cachet ceux qui démarquent de façon consciente leurs limites plutôt que ceux qui s'en cachent de par leur peur face au regard "tolérant" d'autrui. Et qu’on ne se mette pas en tête qu’il serait d’une quelconque manière possible d’être tolérant dans l’absolu, d’être un champion de la vertu-porridge sans se voiler la face, sans se mentir de la pire des façons. L’homme est un être jugeant, il en est ainsi ; alors pourquoi ne pas juger de bon cœur ? Voir de s’amuser au jugement ?